Kōans

(en cours de rédaction)

  • « Qu’est-ce que le Bouddha ? » demande le moine à son maître zen. « Une spatule à merde ! » répond le maître.
    • Chez les bouddhistes l’homme n’est pas le sommet de la pyramide hiérarchique. Les végétaux, les animaux et les hommes sont de même nature et possèdent tous en eux les ingrédients de la bouddhéité, ce qui mène à la conclusion que Bouddha est partout, y compris dans un tel ustensile (les religions monothéistes formulent la même idée de l’omniprésence de Dieu, mais jamais avec une telle liberté du propos !) Objets, végétaux, animaux et hommes n’ont rien à acquérir, seulement à réaliser l’état de Bouddha grâce à la valeur de leurs actions. La vie d’une souris peut dépasser en noblesse celle d’un homme mais, certes, en comparaison d’un végétal ou d’un animal, un homme a plus de possibilités de réaliser de bonnes actions ; malheureusement, il peut également mal agir et accumuler toutes les tares imaginables. Nous rejoignons là des considérations que nous avions déjà évoquées : nous avons tout en nous pour être heureux, il n’y a rien à ajouter, le problème est plutôt d’extraire ce que nous avons mis en trop (à comparer au kata qui approche la perfection quand les éléments superflus ou parasites ont disparu). La « spatule à merde » a tout ce dont elle a besoin pour être Bouddha, mais contrairement aux hommes elle ne s’est pas efforcée d’accumuler des tas de pseudo-mérites pour aller plus vite vers le but. Ainsi, faire l’aumône ne saurait masquer l’avarice ; un somptueux cadeau ne remplacera jamais un amour défaillant ; etc. Finalement la « spatule à merde » est beaucoup plus proche de l’état de Bouddha que la plupart des hommes.
  • Les ignares se délectent du faux clinquant et de la nouveauté. Les gens cultivés trouvent leur plaisir dans l’ordinaire.
  • L’homme regarde la fleur, la fleur sourit.
  • Recherchez la liberté et vous deviendrez esclave de vos désirs. Recherchez la discipline et vous trouverez la liberté.
  • Quand un homme ordinaire atteint le savoir, il est sage. Quand un sage atteint la compréhension, il est un homme ordinaire.
    • L’ordinaire est-il le même pour tous ? L’ordinaire d’un individu lambda est-il comparable à l’ordinaire de l’éveillé ?
  • La voie est sous vos pieds.
  • Le bambou existe au-dessus et en dessous de son nœud.
  • En ultime analyse, toute chose n’est connue que parce que l’on veut croire la connaître.
  • La courbe ne peut inclure la ligne droite.
    • Le mathématicien va ricaner : « la ligne droite est un cas particulier de la courbe ». Mais cela repose sur l’existence d’un postulat qui lui-même ne repose sur rien d’autre qu’un accord entre mathématiciens (la force des mots !). Je vous propose une démonstration plus « cinglante ». Si je prends une baguette de bois souple et rectiligne, je peux la courber pour vous démontrer que le même objet peut être à la fois courbe et rectiligne. Mais si je lâche brusquement une des extrémités de cette baguette devant votre visage, le retour à la ligne droite, en percutant votre joue devrait vous convaincre de l’illusion créée par ma pseudo-démonstration initiale. Attention, ce n’est pas « la réponse » ; c’est une suggestion sur la manière d’aborder le koan.
  • Maison pauvre, voie riche.
  • L’heure me regarde et je regarde l’heure.
  • La lumière existe dans l’obscurité ; ne voyez pas avec une vision obscure.
  • La haine seule fait des choix.
    • L’amour est une attention totale à autrui qui se réalise lorsque toute manifestation de l’ego a disparu. Celui qui aime sait exactement ce dont l’objet de son amour a besoin. Qu’y aurait-il donc à choisir ? A contrario, pour torturer, la pléthore s’installe quant au choix des moyens. On débouche sur une interrogation : avoir le choix est-il une bonne chose ? Notre société consumériste répond forcément « oui ». Qu’en pense un maître zen ? Et quelle est la particularité de la haine par rapport aux autres sentiments ?
  • Pour savoir si l’eau d’un bol est chaude ou froide, il faut y mettre le doigt… Il ne sert à rien de discuter.
  • Un de gagné, un de perdu.
  • Jour après jour, c’est un bon jour.
  • À esprit libre, univers libre.
  • Un jour, Ma Tsu était en route vers quelque endroit, accompagné de Pai Chang, lorsqu’ils virent soudain un canard sauvage passer au-dessus d’eux. Ma demanda : « Qu’est-ce ? » Pai répondit : « Un canard sauvage. » Ma : « Où vole-t-il ? » Pai : « Il est déjà parti ! » Sur ce, Ma saisit le nez de Pai Chang et le tord avec violence. Pai crie de douleur : « Aïe ! » Ma, aussitôt : « Comment peux-tu dire que le canard sauvage est parti ? »Un canard est un canard, car nous pensons que sa caractéristique de canard lui appartient en propre. Si quelqu’un en regardant un canard voit une machine à laver, c’est qu’il est fou. Cependant, un canard peut aussi être un animal, un volatile, un gibier, un palmipède, un oiseau, etc. Donc la dénomination n’est pas un attribut propre à l’objet mais dépend de l’esprit de l’observateur. On peut donc voir de nombreuses choses différentes dans un même objet. De plus dans l’état hishiryo, la perception se fait globale grâce à l’élargissement du champ de la conscience : tous les points de vue sont appréhendés dans une même vision synthétique qui est bien évidemment totalement dépendante de l’observateur.
    Pai Chang croit d’abord que le canard existe par lui-même (comme tout individu normal), mais quand on lui tord le nez, il réalise en un éclair que le canard sauvage n’est pas un objet existant indépendamment de son esprit, et que l’oiseau est toujours là avec lui, ou plutôt qu’il est son propre soi. On dit que Pai Chang connut alors l’illumination.
  • Le monde existe-t-il encore quand je meurs ?
    • Les survivants disent oui, mais pour moi, tout a disparu : « moi » et tout ce qui est « non-moi ». Psychologiquement le monde n’existe pas sans « moi ».
  • Non anxieux ici, non anxieux toute la vie.
  • Qui excelle au tir ne touche pas le centre de la cible.
  • J’éteins la lumière, où va-t-elle ?
  • Un moine demande un jour à Chao Chou : « Qui est Chao Chou ? » Chao Chou répondit : « Porte Est, Porte Ouest, Porte Sud, Porte Nord ! »La sécurité est un besoin fondamental de l’individu. Cela induit la construction d’un rempart psychologique quasi infranchissable pour se protéger de l’adversité (c’est bien sûr l’ego qui en est l’architecte). L’individu ainsi barricadé se coupe de toute véritable communication avec autrui. Chao Chou a ménagé de nombreuses ouvertures dans son mur d’enceinte. C’est-à-dire que Chao Chou est totalement ouvert ; on peut l’aborder sous tous les angles, rien n’est caché. Il n’y a aucune barrière pour venir à lui. Pas d’intérieur ni d’extérieur, Chao Chou est pure transparence.
  • Une journée, une vie.
  • Le courant rapide n’a pas emporté la lune.
  • Zhaozhou demanda à Nanquan :
    « Qu’est-ce que la Voie ? »
    Nanquan répondit :
    « L’esprit ordinaire est la Voie. »
    Zhaozhou dit :
    « Est-ce qu’elle va dans une direction particulière ? »
    Nanquan :
    « Si vous essayez d’aller dans sa direction, vous vous éloignez d’elle. »
    Zhaozhou :
    « Si on n’essaie pas, comment peut-on savoir que c’est la Voie ? »
    Nanquan répliqua :
    « La Voie ne répond pas du savoir ou du non-savoir. Savoir est une illusion, ne pas savoir est confusion. Si vous réalisez pleinement le Tao au-delà de tout doute vous atteignez le grand vide, vaste et illimité. Comment dans ce cas peut-on se tromper quant à la Voie ? »
    En entendant cela, Zhaozhou fut subitement illuminé.Il existe d’innombrables commentaires sur ce mondo ; toutefois le plus important à retenir est qu’il ne sert à rien de palabrer sur ce type de sujet. Les mots ne peuvent nous amener que dans le connu ou l’illusion. Pour découvrir une chose inconnue, il est impératif de s’abstenir de discourir. Il faut pratiquer, méditer et élargir le champ de sa conscience.
  • Une illusion peut-elle exister ?
  • Les mains vides, je tiens une bêche.
  • Comme le sixième Patriarche était là, le vent commença à faire claquer l’oriflamme. Deux moines se mirent à discuter là-dessus. L’un remarqua : « Regarde ! l’oriflamme bouge ! » À quoi l’autre rétorqua : « Non ! c’est le vent qui bouge ! »
    Ils discutèrent interminablement sans pouvoir toucher au vrai. Brusquement, Hui Nêng mit fin à cette discussion stérile en disant : « Ce n’est pas le vent qui bouge, non plus que l’oriflamme, Honorables Frères, ce sont vos esprits qui bougent ! » Les deux moines restèrent cois.L’opposition entre l’intérieur et l’extérieur est un des thèmes les plus fréquents des koan. Ce koan et plusieurs autres cités ci-dessus s’appuient sur cette dualité. Le zen, grâce à ses différents outils (zazenkufû et koan) et les arts qui en dérivent proposent de rejeter cette perception intrinsèquement conflictuelle. Ne plus séparer l’intérieur et l’extérieur, le corps et l’esprit, soi et autrui, développer une nouvelle vision de l’être, totalement harmonieuse, tel est l’objectif.
  • Pour l’homme ordinaire, les rivières sont des rivières et les montagnes sont des montagnes. Lorsque vous pratiquez le zen les rivières ne sont plus des rivières et les montagnes ne sont plus des montagnes. Lorsque vous atteignez l’illumination les rivières redeviennent des rivières et les montagnes redeviennent des montagnes. Au-delà cela n’a plus d’importance.
  • Lorsqu’il n’y a plus rien à faire, que faites-vous ?
  • Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as.
  • Ne regardez pas les choses ordinaires de manière ordinaire. (Dogen)

Les quelques éclaircissements fournis sont des clés, rien de plus. Encore faut-il trouver la serrure et manœuvrer correctement le mécanisme. Quand la porte est ouverte, il faut voir clair ; or il n’est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Et c’est souvent ce qui se passe quand l’objet à observer se nomme « ego ». Cela dit, la résolution de ces koan est difficile. Parfois, nous croyons avancer, nous pensons même avoir trouvé une réponse pertinente, mais nous nous sommes fourvoyé. Rappelons-nous que le raisonnement logique n’éclaire jamais le koan. Certes, la réponse finale peut s’inscrire dans une forme logique, mais l’approche doit être intuitive, hors du champ des critères classiques de compréhension.
Certains koan paraîtront évidents à ceux qui ont déjà entamé une remise en question du mode de vie imposé par l’insidieux conformisme de notre société (d’autant plus dangereux que cette incitation au comportement moutonnier se pare du vêtement de la liberté : illusion encore et toujours !). Mais ils ne pourront pas expliquer pourquoi. La compréhension profonde du koan leur fournira l’éclairage qui leur manquait.

De nombreux koan finissent par l’illumination du moine. On touche là les limites conceptuelles du zen : comment croire que la compréhension d’un koan suffise pour obtenir l’illumination ? Comment croire qu’il suffise de la compréhension de dix, cent ou mille koan ? Ces exercices permettent d’avancer sur la voie, d’ouvrir son esprit. La véritable illumination se fera dans la découverte de la structure réelle de notre esprit, de notre conscience, de notre ego et du fonctionnement de cet ensemble. Koanzazenkufû nous permettent de reconstruire un puzzle. Mais ce puzzle est comme ces dessins qu’il faut regarder d’une certaine manière pour y voir quelque chose de particulier. Une fois le puzzle assemblé, nous resterons peut-être plusieurs années à le contempler sans le comprendre, puis, un jour, n’importe quand, n’importe où, peut-être un matin sous la douche, un éclair de génie jaillira. Ce phénomène nommé « satori » dans le zen est comparable à ces illuminations subites de savants qui découvrent ou inventent alors que leur esprit est occupé à une banale tâche quotidienne, voire totalement inactif. Mais, évidemment, un long travail de recherche et d’expérimentation s’est effectué au préalable.

Source : http://www.goshinbudokai.fr/koan2.html

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